La première fois que l’on m’a invitée à me suspendre (oui, me suspendre !) remonte à l’époque où je m’entraînais auprès d’élèves d’Ido Portal à Berlin. Jusqu’alors, lorsque je m’accrochais à une barre ou à des anneaux de gymnastique, c’était pour faire des tractions. Et cela me faisait suffisamment mal aux mains pour me faire passer l’envie de rester suspendue plus de temps que nécessaire.
Et puis Ido est arrivé avec son « Hanging Challenge » (à retrouver sur son blog, lien en fin d’article) : se suspendre 7 minutes par jour, tous les jours, pendant un mois. Pour moi qui ai les mains particulièrement fines et la force de préhension (le grip) parmi la plus faible qui doit exister sur cette Terre, c’était pour le moins un challenge. Évidemment, il ne s’agissait pas de tenir 7 minutes d’affilée, mais de comptabiliser 7 minutes de suspension au total, soit en y dédiant un moment de sa journée pour faire la totalité, soit en répartissant le temps de suspension au fil de la journée.
Bien souvent, les personnes qui savent déjà faire des tractions sont étonnées lorsque je leur dis de descendre jusqu’en bas, jusqu’à ce que leurs bras soient tendus. « Je croyais que c’était mauvais pour les épaules », me disent-elles. C’est faux. Ce qui est mauvais en revanche, c’est de se laisser retomber de façon brutale, sans contrôler la descente. C’est alors le tissu conjonctif des épaules et des coudes qui absorbera la charge. Mais sans à-coup, laisser la gravité exercer une traction sur nos membres supérieurs n’est pas néfaste, et est même bénéfique. C’est en tout cas ce que me prouve mon expérience, et surtout ce que l’enquête du Dr Kirsch, chirurgien orthopédique américain spécialiste des troubles de l’appareil locomoteur, nous prouve. C’est lui qui a inspiré Ido pour son challenge.
Les douleurs aux épaules sont souvent liées à un problème de mobilité
Le Dr Kirsch a mené une enquête auprès de 94 patients atteints de pathologies douloureuses aux épaules. Dans la grande majorité des cas, il s’agissait de problèmes localisés au niveau de la coiffe des rotateurs, un complexe musculo-tendineux dont une des fonctions est d’aider à lever le bras. La coiffe passe sous l’arche coraco-acromiale, qui est composée d’os et de ligaments et qui se situe au dessus de la tête de l’humérus. Sans vraiment savoir pourquoi – mais probablement à cause du mauvais usage de nos épaules lié à notre mauvaise posture, à cause d’une diminution de la mobilité de l’omoplate, et parce qu’on ne fait que très rarement des mouvements d’élévation des bras – l’arche coraco-acromiale se contracte et se rigidifie, réduisant l’espace où passent les tendons de la coiffe des rotateurs. Résultat : lorsqu’on lève le bras, les tendons sont « pincés » par l’arche et provoquent une vive douleur à l’épaule.
Les os et les ligaments se remodèlent, il suffit d’y appliquer une force nouvelle… et d’être patient !
Les cobayes de l’étude du Dr Kirsch étaient donc en grande majorité atteints par ces symptômes douloureux. A terme, la solution généralement envisagée pour ce type de pathologie est l’opération chirurgicale. Mais, en s’appuyant sur le loi de Wolff qui stipule que « l’os se forme et se résorbe en fonction des contraintes mécaniques qu’il subit », Kirsch a émit l’hypothèse que l’os et les ligaments qui y sont attachés pouvaient être remodelés si l’on y appliquait une force suffisamment élevée, à un angle adéquat. Pour ce faire, rien de plus simple : il suffit de se suspendre à une barre et de laisser faire la gravité qui, avec le temps, va plier l’os de l’acromion et étirer le ligament coraco-acromial, de façon à créer de l’espace pour les tendons de la coiffe des rotateurs. Après s’être suspendu pendant plusieurs minutes, il faut soulever des poids légers pour un grand nombre de répétitions, dans le but de renforcer les tendons de la coiffe (qui profitent de l’espace créé sous l’arche grâce à la suspension) et de rééquilibrer les forces qui entourent l’épaule. C’est donc ce qu’il a fait faire aux patients de son étude et les résultats sont parlants : si 2 ont abandonné l’expérience en cours de route, 90 ont pu retourner progressivement à leurs activités quotidiennes, ne ressentant plus de douleurs aux épaules, et 2 patients qui devaient passer sur la table chirurgicale ont pu annuler leur opération.
L’art et la manière de se suspendre
Le protocole du Dr Kirsch consiste à se suspendre à une barre (ou à des anneaux de gymnastique) durant une période totale de 10 à 15 minutes, par intervalles de 10 à 30 secondes – selon vos capacités -, et toujours en prise pronation, c’est-à-dire les paumes de main dirigées vers l’avant et non vers vous. Il est extrêmement important d’être complètement détendu, la moindre contraction aux épaules ou dans le dos empêchera la gravité de jouer son rôle. Seules les mains et les avants bras sont contractés pour rester accroché à la barre.
Le protocole d’Ido Portal consiste, je l’ai dit plus haut, à se suspendre pour une période totale de 7 minutes. Ce dernier propose différentes façons de le faire (passivement, activement et dynamiquement), dont vous retrouverez les différentes progressions sur son blog.
Si c’est trop dur au début, pour les mains ou pour les épaules, vous pouvez laisser vos pieds par terre et vous en servir comme support pour vous délester, mais en veillant bien à n’utiliser que la gravité pour étirer les épaules et non à forcer l’étirement en avançant votre torse (car il y a là un risque d’élongation). Selon Kirsch, si des douleurs ou de l’inconfort surviennent lorsque vous vous suspendez, c’est normal et vous ne risquez pas de vous blesser davantage : il s’agit des contractures de l’arche et des raideurs de l’omoplate qui commencent à s’étirer. Ido Portal, lui, critique cette approche par la douleur et recommande de l’éviter, sous peine d’inflammer le ligament coraco-acromial.
Autre point de désaccord entre les deux hommes : les exercices pour renforcer la coiffe des rotateurs après la suspension. Le Dr Kirsch conseille de soulever des poids légers (allant de 0,5kg à 3,5kg) immédiatement après les 10 à 15 minutes de suspension, via des élévations latérales bras tendus, des élévations frontales bras tendus et des extensions arrière bras tendus/buste penché (vous trouverez les détails de ces exercices dans son ouvrage, référence en fin d’article). Pour Ido, il existe des exercices bien plus intéressants pour renforcer la coiffe et stabiliser l’omoplate (vous en retrouverez certains là : https://www.youtube.com/watch?v=y4Wo095zPnc et d’autres là : https://www.youtube.com/watch?v=1YHIV4a81Os )
Enfin, dans le cas des personnes ayant les épaules hypermobiles ou qui ont subi une dislocation, Ido conseille d’utiliser la suspension active, alors que Kirsch déconseille catégoriquement de se suspendre.
Mais malgré leurs quelques divergences, les deux hommes sont d’accord sur le fond : en prévention ou en réhabilitation, la suspension est un exercice simple, peu coûteux et efficace. Et on pourrait presque avancer que c’est une panacée, sachant qu’il est possible que le manque d’utilisation de nos bras en position « levée » soit responsable de l’épidémie des problèmes dégénératifs de l’épaule à laquelle on assiste aujourd’hui. La gravité est capable de remodeler la forme de notre arche coraco-acromiale et de bénéficier à la santé de nos épaules. Let’s hang !
Sources
http://www.idoportal.com/blog/hanging
Kirsch, John M., 2013. Shoulder Pain? The Solution & Prevention, Revised & Expanded, Bookstand Publishing