La dynamophilie, vous connaissez ? « Dynamo », qui vient du grec, signifie « force, puissance », et philie, vous le savez déjà, c’est « l’amour de ». Un(e) dynamophile, c’est un(e) athlète qui cherche à soulever la barre la plus lourde possible lors de trois différents mouvements : le squat, le développé couché et le soulevé de terre.
Enfin c’est au Québec qu’on utilise ce terme pour se référer à la discipline sportive qu’on appelle « powerlifting » en anglais. En France on parle conventionnellement (fadement ?) de « force athlétique ».
Le powerlifting n’est pas une discipline nouvelle, mais elle a longtemps été dans l’ombre de l’haltérophilie. Il faudra attendre les années 1970 pour que les premières compétitions formelles, exclusivement dédiées aux trois mouvements, apparaissent.
Et puis il faudra surtout attendre les années 2000 pour que le boom du CrossFit se charge de populariser le powerlifting, en amenant les mouvements du squat et du soulevé de terre dans les salles de musculation, où l’on ne pratiquait habituellement que le bodybuilding.
A la différence de nombreux autres sports, ce ne sont pas les plus jeunes qui sont les mieux classés dans les compétitions, et une carrière de powerlifter ne s’arrête pas à 30 ans. Construire sa force prend du temps et le chemin est long pour arriver au sommet.
Imad Bahria peut témoigner de ce long chemin et de toute la détermination qu’il faut pour le parcourir. L’athlète qui a aujourd’hui 45 ans connaît particulièrement bien son sujet, puisqu’il est dans le « game » depuis plus de deux décennies.
Rencontre avec un champion du monde aussi puissant qu’inspirant.
Les débuts dans la discipline
Imad rencontre la musculation il y a plus de vingt ans. A l’époque, c’est le judo qu’il pratique, et il doit devenir plus fort pour améliorer ses performances en combat. Ce faisant, il se prend de passion pour les mouvements du développement de la force comme le squat et le soulevé de terre.
Mais les salles de musculation de l’époque sont principalement peuplées de bodybuilders, et Imad se retrouve vite confronté aux limites des gens qui l’entourent en termes de connaissances de l’entraînement :
« Au début, quand j’ai commencé la musculation, il y avait peut-être un ou deux gars un peu costauds dans la salle, qui venaient me donner des conseils. Et puis il y avait des mecs chargés [dopés] qui me disaient « tu devrais prendre ci, tu devrais prendre ça… » Mais c’était des mecs qui étaient dans la musculation t-shirt : ils faisaient des pecs, des abdos, des biceps, point barre. Moi c’était l’aspect performance qui me passionnait, je voulais voir des barres qui tordent, je voulais voir des grosses barres ! »
Alors le powerlifter décide de passer le brevet d’Etat Hacumese : « Haltérophilie, Force Athlétique, Culturisme, Musculation Educative, Sportive et d’Entretien ». Par chance, il a parmi ses profs un « forceux », qui n’est autre que Marc Vouillot, l’un des précurseurs de la force athlétique en France et fervent compétiteur dans les années 1980. Grâce à Marc et aux autres rares passionnés qui tournent autour de lui, Imad découvre la dimension scientifique de l’entraînement, celle qui planifie, prépare, mesure, quantifie… et fait progresser :
« C’est lui qui m’a donné le goût et la passion de la force. C’était un sport très peu connu à l’époque, donc on vivotait un petit peu… Ceux qui pratiquaient la force se connaissaient, on était très peu nombreux, et on a très vite progressé ensemble. »
Imad commence alors ses premières compétitions et ouvre sa salle dans le sud de l’Alsace. Il la gèrera durant quelques années, avant de la vendre. Les compétitions de powerlifting ne rapportant pas d’argent même quand on les gagne, il travaille aujourd’hui à Bâle en tant que chauffeur pour subvenir aux besoins de sa famille, et s’entraîne en rentrant du travail dans son garage dûment aménagé et équipé.
Et si Imad est aussi bien équipé (le matériel de powerlifting – notamment la marque Eleiko pour les connaisseurs et connaisseuses – est très onéreux), c’est justement grâce à son employeur, AMAC Aerospace, qui est aussi son fidèle sponsor depuis ses débuts en compétition.
Des premières compétitions aux médailles d’or
Nous l’avons dit en introduction, le powerlifting consiste à soulever une barre lors de trois mouvements différents : le squat, le développé couché et le soulevé de terre. On additionne les trois charges soulevées, et le total détermine la place dans la compétition.
Les compétitions se déroulent au sein de différentes fédérations qui, comme dans les sports de combat, sont nombreuses. Mais la différence entre le combat et le powerlifting, c’est que la fonte est un outil de mesure universel : qu’importe la fédération dans laquelle on fait ses compétitions, on pourra toujours comparer ses totaux avec ceux des autres.
En compétition, les trois mouvements sont réalisés le même jour, dans un ordre défini : d’abord le squat, puis le développé couché, et enfin le soulevé de terre.
Imad commence la compétition alors qu’il a déjà 25 ans, autant dire assez tard pour un athlète. Mais l’avantage du powerlifting par rapport à d’autres sports, c’est que la maturité est justement tardive : la force se développe sur le long cours et les athlètes durent longtemps.
Son premier championnat du monde, il y participe en 2012 en Irlande et se classe à la 5e place. C’est en 2014 qu’il remporte ses premiers titres, à Iguaçu en Argentine, lors d’une compétition dont il se rappellera pendant longtemps :
« Les conditions étaient hallucinantes… On était sensés commencer la compétition à 15h, et on a finalement commencé à 21h. Mon dernier soulevé de terre, je l’ai fait à 4h du matin. Les performances n’étaient largement pas au rendez-vous, parce que les conditions n’étaient pas réunies pour performer : tout le monde était complètement cramé. On avait brûlé tout notre jus à attendre notre passage. Mais c’était déjà pas mal de faire une performance sans se blesser, parce que des blessés il y en a eu. L’ambulance partait, revenait, partait, revenait… C’était un truc de fou. Mais malgré tout c’était une très belle expérience, et tout le monde en a gardé un bon souvenir. »
Une belle expérience et une belle consécration pour Imad qui rentrera en France avec deux titres de champion du monde dans la catégorie open avec équipement en moins de 90 kg : celui du total des trois mouvements (682,5 kg) et celui du soulevé de terre (287.5 kg).
Mais son meilleur total, c’est en 2019 qu’il le réalise, à l’âge de 43 ans. C’est en Serbie, lors des championnats du monde organisés par la fédération GPC. Imad soulève un total de 745 kg de fonte, avec un squat à 310 kg.
Le powerlifter détient aujourd’hui 5 titres mondiaux et 2 titres de championnat d’Europe, dont les derniers titres ont été décrochés dans la catégorie Master.
Avec ou sans équipement ?
Outre les catégories d’âge, de sexe et de poids, les compétitions en powerlifting proposent également de « tirer » avec ou sans équipement d’assistance.
L’équipement d’assistance, ce sont des bandes de genoux et des combinaisons/maillots extrêmement rigides qui offrent un soutien de taille pour les trois mouvements, et permettent ainsi de soulever beaucoup plus lourd. Si l’utilisation de l’équipement était en vogue à une époque, ce n’est plus le cas aujourd’hui et les athlètes préfèrent tirer sans, en « raw » pour reprendre le terme anglais.
Les bandes de genoux
En raw, on a tout de même le droit de porter une ceinture lombaire, et parfois des bandes de genoux. Imad nous explique qu’il continue à utiliser les bandes… mais qu’il s’en passerait pourtant bien :
« Les bandes c’est un super outil, mais il faut apprendre à s’en servir parce que ça fait mal… Souvent on te dit « avec les bandes tu peux prendre 50kg », et moi je réponds : « ouais ben déjà, essaie de les mettre ». Et la première fois que tu squatteras avec, tu feras 50kg de moins, parce que tu ne peux même pas passer sous la barre, tellement ça fait mal !
Même quand tu es habitué, quand la saison commence et que tu dois les remettre pour la première fois, tu ne peux pas les serrer trop fort parce qu’elles t’abîment, elles font mal aux tendons… C’est hyper contraignant. »
Et en plus de la douleur qu’elles provoquent, elles amènent aussi leur lot de stress :
« Comme les bandes font tellement mal dès qu’on les met, il faut les garder le moins de temps possible. Ça veut dire que la question du timing est très importante : il faut les mettre pile au moment où il faut. Tu dois anticiper le passage du compétiteur avant toi, et le temps qu’il te faudra pour les mettre… C’est un timing qui est vraiment compliqué à gérer, parce que si tu les as une minute de plus que nécessaire, tu meurs…
Et tu sais qu’il y a parfois des erreurs de chargement, ils se trompent sur le poids de la barre, ou sur la hauteur de la barre, et toi tu as déjà mis tes bandes… Et bien tu peux juste les enlever et rater ton essai, parce que tu n’auras plus aucune sensation, tu ne sens plus le sol quand tu marches : c’est comme un garrot. Et le garrot, tu l’acceptes 30 secondes, une minute, mais plus que ça c’est intenable.
Du coup moi je les mets parce que les autres les mettent et que ça permet de soulever plus lourd, mais je préfèrerais tirer sans. Parce que sans, il n’y a pas cette histoire de timing à gérer. Tu y vas quand tu es prêt, point barre, et il n’y a pas ce facteur de stress en plus. »
La ceinture lombaire, elle, reste un outil indispensable pour accroître la pression intra-abdominale et permettre à l’athlète d’être et de se sentir plus fort au squat et au soulevé de terre.
Le protège-dents
Et last but not least… Imad utilise un protège dent pour faire ses squats :
« Quand je le porte, j’ai un meilleur équilibre, c’est assez fou : j’ai l’impression de squatter avec une barre qui est guidée. Je sais que certains disent que c’est un phénomène de mode, mais pour moi ça fait vraiment la différence, c’est le jour et la nuit.
Quand tu mets le protège-dents, c’est comme si tu étais sur des rails. Le fait de serrer la mâchoire te permet de bloquer la tête dans une certaine position. Du coup les cervicales sont aussi dans une position forte, ce qui se répercute sur tout le tronc, et te permet donc de tout rigidifier. »
L’art de bien se positionner pour tirer
Si le matériel joue son rôle, l’optimisation de la technique n’est pas en reste pour rajouter du poids sur la barre au fil des années. La technique est moins importante qu’en haltérophilie, mais elle reste fondamentale à travailler, d’une part pour ne pas se blesser, et d’autre part parce que de tout petits changements dans l’exécution du mouvement peuvent amener à de gros progrès.
Le soulevé de terre
Pour le soulevé de terre, il y a deux façons de tirer sa barre : soit en position « conventionnelle » – c’est-à-dire avec les pieds écartés à largeur du bassin -, soit en position « sumo » – c’est-à-dire avec les pieds beaucoup plus écartés. Imad a utilisé les deux dans sa carrière de compétiteur :
« Pour le soulevé de terre, j’ai commencé les compétitions en tirant de façon conventionnelle. Puis en 2003 je me suis blessé. J’avais fait faire des semelles orthopédiques pour travailler un peu sur mes appuis au sol, et lors de la première séance avec je me suis fait une hernie discale. Je n’avais plus du tout les mêmes appuis, j’étais je pense un peu plus haut, et je n’ai pas eu le temps de m’adapter à cette nouvelle position. Et c’est en reposant la barre à 120 kg que je me suis fait cette hernie.
J’ai mis 6 ou 7 mois à revenir, et j’ai décidé de tirer en position sumo. Et j’ai bien fait, car pour te dire la différence : ma meilleure barre en conventionnel était à 297 kg en étant équipé et dans la catégorie de poids des -100 kg, alors qu’en sumo j’ai passé les 310 kg en étant non équipé, dans la catégorie de poids des -90 kg. »
Le squat
Pour le squat aussi, il y a différentes façons de placer ses pieds. Pour que le mouvement soit validé en compétition, il faut que les hanches descendent sous le niveau des genoux. Ce qui laisse le choix aux athlètes quant à l’écartement qu’ils et elles choisissent.
Lorsque l’on porte le maillot et les bandes, la biomécanique du squat est altérée et il est beaucoup plus facile (et avantageux puisque la distance à parcourir vers le bas est moindre !) de squatter en aillant les pieds écartés :
« Quand tu mets la combinaison, tu sens que tu peux t’asseoir sur quelque chose. Tu as la sensation de t’asseoir sur un tabouret, et de devoir écraser ce tabouret vers le bas. Et après tu as en plus le ressort qui t’aide à remonter. Donc même si tu as des angles un peu défavorables, si tu as le genou ou la hanche qui n’est pas trop en place, la combi te maintient et tu fais quand même le boulot. »
Depuis qu’il le fait en raw, Imad a retrouvé un squat assez « naturel » en termes de biomécanique, c’est-à-dire avec les pieds plus serrés et une belle profondeur, dans des standards proches du squat d’haltérophilie.
Concernant la position de la tête lors du squat, Imad a commencé les compétitions en l’orientant vers le haut, là encore comme en haltérophilie. C’est Marc Vouillot qui lui avait appris à squatter comme ça. Mais depuis 4 ou 5 ans, il garde la tête neutre, voire légèrement orientée vers le bas :
« Si j’ai la tête vers le haut, la barre m’écrase. Alors que quand la tête est un peu vers le bas, tout le reste suit. Mon dos est dans la barre. Je pousse sur les cuisses, et puis c’est mon dos qui prend le relais, qui pousse dans la barre. Et ça je ne peux le faire que si la tête est vers le bas. »
La planification de l’entraînement de powerlifting
Comment organiser, planifier son entraînement en vue d’une compétition lorsqu’on est powerlifter ? Imad s’entraîne seul et construit seul sa planification. Il décompose la saison en trois parties : une partie orientée vers l’hypertrophie, une partie orientée vers la force générale et une partie sur la force spécifique.
L’hypertrophie
La phase d’hypertrophie a pris, au fil des ans, de plus en plus d’importance dans l’entraînement d’Imad. Le travail d’hypertrophie vise à construire de la masse musculaire en utilisant un grand nombre de répétitions et avec des charges bien moins élevées que celles visées en compétition.
« A force d’être sous de grosses charges, les tendons encaissent, les articulations encaissent, et le système nerveux aussi, puisqu’il n’est pas inépuisable à l’infini. A un moment, il faut récupérer. C’était moins le cas avant, mais aujourd’hui je préfère passer une grande partie de la saison à travailler autour des 60%, 70% [du 1RM].
Le bloc d’hypertrophie dure environ 3 mésocycles, et comprendra toujours une variation du mouvement de base. Ça ne sera pas du squat compétition, mais par exemple du squat à la Safety Squat Bar, ou du squat avant. Je choisis les exercices généralement en fonction de mon point faible, de là où je cherche à développer le plus de masse musculaire. »
La force générale et spécifique
Après le bloc d’hypertrophie, Imad passe au bloc de force générale :
« Il représente une bonne partie de la saison aussi, 2 à 3 mésocycles en fonction de la durée de la saison et des compétitions que j’ai à préparer. Là je travaille autour des 80% [du 1RM] pour développer cette base de force, en orientant de plus en plus vers le spécifique, c’est-à-dire vers le mouvement de compétition. »
Puis vient le moment qui précède la compétition qui dure de 3 à 6 semaines, durant lesquelles Imad va chercher un ou deux « pics », c’est-à-dire un travail avec des charges supérieures à 90% :
« En ce moment par exemple j’approche de ma prochaine compétition, et je vais aborder la phase de pic : ça va être du maxi tous les jours pendant 17 jours. Très peu de gens utilisent ce format qui consiste à soulever des charges maximales tous les jours, mais moi je le fais parce que ça me réussit bien. Bien sûr, j’utilise là aussi des variations, pas les mouvements de compétition tous les jours. Et puis derrière je fais un petit deload, avant d’attaquer la compétition. »
En termes de timing et de deload en vue de la compétition, Imad réalise le dernier squat lourd 9 jours avant la compétition, et le dernier soulevé de terre lourd 15 jours avant, parce qu’il faut du temps pour récupérer.
Pour le développé couché, c’est un peu différent puisque c’est le point faible de l’athlète. Il plafonne à 142 kilos depuis des années, et il l’explique par le fait qu’il n’est pas « câblé » pour ce mouvement. Du coup, comme les charges qu’il utilise à l’entraînement ne provoquent pas beaucoup de dégâts et lui permettent de récupérer rapidement, il peut continuer à s’entraîner pratiquement jusqu’à la compétition.
Le contenu d’une séance de powerlifting
Le nombre de séances hebdomadaires dépend des cycles. Pendant certains cycles, Imad s’entraîne 5 à 6 fois par semaine, alors que dans d’autres il s’entraîne 3 fois par semaine. En ce moment, compte tenu de sa vie familiale bien remplie, il a un standard de 4 séances par semaine.
Quant au contenu de la séance en elle-même, à quoi ressemble-t-il ? Faut-il dédier chaque séance à l’un des trois mouvements du powerlifting, ou peut-on en mettre deux, voire les trois dans une même séance ? En fait, tout dépend de la phase dans laquelle on se trouve.
En hypertrophie, Imad divise les séances par groupes musculaires :
« Quand je suis dans la phase d’hypertrophie, je vais plutôt axer la séance sur un mouvement principal, avec des exercices accessoires derrière. Je fais une séance avec le squat et des exercices pour les jambes, une séance avec le soulevé de terre et des exercices pour le dos, une séance avec le développé couché et des exercices pour les pectoraux. »
Lorsqu’il est en période de force, l’athlète fait davantage de mélange, en fonction de l’état de forme et des objectifs :
« Ça dépend des méthodes que j’utilise, de mon état physique, de mes blessures, etc. Parfois je vais mixer le squat et le soulevé de terre dans une même séance, parfois pas. Si je fais une séance de vitesse, je peux très bien faire du squat, du développé couché et du soulevé de terre dans la même séance.
En règle générale, je fais le développé couché avant le squat, que ce soit un jour avant, ou avant dans la même séance, parce que le squat me fait mal aux coudes, donc c’est compliqué de faire du développé couché après avoir squatté.
Mais pour la question de comment agencer les exercices dans la séance et dans la semaine, en fait ça dépend de ce que tu tolères. Il n’y a pas une recette générique qui pourrait marcher pour tout le monde. Moi c’est ce que je fais et qui marche chez moi, mais il y a d’autres façons de faire. »
L’art de la récupération
Bien sûr, l’entraînement en powerlifting est impensable sans une récupération adéquate. Si l’on veut que le corps s’adapte aux stimuli qu’on lui impose, il faut tout mettre en œuvre pour qu’il ait les moyens – et le temps ! – de le faire.
Un mode de vie sain et du cardio
Quand on parle de récupération, il y a d’abord le sommeil et l’alimentation. Imad boit 4 litres d’eau par jour, et n’oublie pas de consommer des glucides. Ensuite, et ça peut paraître étonnant pour un powerlifter, il fait du cardio :
« Ce n’est pas du cardio de fou, du fractionné ou même de la course à pied, mais je fais une marche rapide tous les matins, qui dure 30 minutes. Ça me permet de récupérer de ma séance de la veille. Et puis je fais mon gainage et mes étirements »… avant de partir au travail.
Le kiné
L’athlète va également chez le kinésithérapeute une fois par semaine :
« Que j’ai mal ou que je n’ai pas mal, j’y vais. S’il n’y a rien, il me masse un peu, il m’aide à récupérer au niveau des muscles qui sont courbaturés. Et si quelque chose a bougé, il me le remet en place. Le fait d’y aller une fois par semaine, ça évite de trainer des trucs trop longtemps, de laisser des blessures s’installer. »
La cryothérapie gratuite
Et qu’en est-il de toutes les nouvelles techniques de récupération dont on dispose ? La cryothérapie par exemple ? Eh bien Imad utilise sa pause de midi pour faire des bains froids dans le Rhin.
« Si je voulais faire de la cryothérapie en cabine, il faudrait que j’aille à Mulhouse, et ça ferait beaucoup de logistique à organiser au quotidien. Les bains froids dans le Rhin, ils sont intégrés à ma journée de boulot, pendant la pause.
En fait quand tu mets quelque chose en place, il faut réfléchir. C’est comme la diète, c’est comme tout, il faut faire des choses qui sont accessibles et réalistes dans ton mode de vie. Il y a plein de choses qui marchent, mais combien de temps tu vas les tenir ? Combien de temps tu vas les mettre en place au quotidien ? Parce que tout ce que tu mets en place, il faut le faire quotidiennement. Il faut le faire de manière régulière pendant des années pour que ça porte ses fruits. Ce que tu vas faire épisodiquement, voilà, c’est bien, tu auras donné pas mal d’argent à pas mal de monde, mais au final… »
Et les bains quotidiens dans l’eau du Rhin sont bénéfiques à l’athlète, particulièrement en hiver lorsque l’eau est très froide :
« J’apprécie l’hiver rien que pour ça, pour pouvoir soulager un peu mes articulations. Dès que l’été approche et que l’eau est moins froide, c’est plus facile de se baigner, mais les tendinites reviennent.
Quand j’ai commencé au début en hiver, je ne me mettais dans l’eau que jusqu’au bassin, et mes douleurs dans le bas du corps ont disparu. J’avais souvent des tendinites au fascia lata, et des soucis à l’adducteur, que l’eau froide faisait disparaître. En revanche j’avais toujours mal au bras.
Au niveau des douleurs, tu peux vraiment sentir les parties que tu as trempées et celles que tu n’as pas trempées. Du coup maintenant je plonge entièrement. Et ces bains froids, c’est vraiment un gros plus pour moi. »
La psychologie de la performance
Si vous avez lu l’interview que j’ai faite de l’haltérophile belge Anna Van Bellinghen, vous savez que l’état psychique dans lequel on se trouve au moment de tirer la barre est fondamental pour la réussite ou non du mouvement.
Les mouvements d’haltérophilie sont très techniques, et la moindre perturbation mentale peut faire échouer l’athlète dans sa tentative de soulever la barre. Le powerlifting étant moins technique, on pourrait imaginer qu’il suffit de pousser « comme un bourrin », d’utiliser son physique, et le tour est joué. En fait, comme nous l’explique Imad, il n’en est rien.
« Je me rappelle de la première fois où j’ai réalisé le record du monde au squat, c’était à Las Vegas. J’ai posé les mains sur la barre, et j’attendais le bon moment pour y aller.
En fait, la barre tu la connais, elle est ce qu’elle est, tu sais ce que tu as mis dessus, tu sais ce que ça représente, et ça ne va pas changer du jour au lendemain ou d’une seconde à l’autre. Ce qui est hyper important c’est toi et ton état émotionnel : est-ce qu’à ce moment précis tu peux y aller ou pas ?
Tu as l’impression que c’est un tourniquet qui tourne, et tu essaies d’attraper la poignée au bon moment… Et tu te demandes : est-ce que c’est vraiment le bon moment pour que j’y aille ou pas ? Est-ce que si j’y vais là, maintenant, j’aurais le jus qu’il faut ? »
Les images et la temporalité du « psyching up »
Et ce moment, il se prépare en amont grâce à ce qu’en anglais on appelle « psyching up ». Il s’agit de stratégies cognitives que les athlètes mettent en place juste avant et pendant l’exécution du mouvement, dans le but de booster leur performance. Ça peut être écouter de la musique, se répéter un mantra, utiliser des images mentales…
Les images mentales et le bon timing concernant leur utilisation ont une place particulièrement importante dans la vie d’Imad. Pendant des années, il a tenté de passer la barre des 300 kg au soulevé de terre. Il la ratait à chaque fois pour autre chose : il perdait l’équilibre, il lâchait une main, les disques tombaient, le plateau bougeait…
Et puis un jour, il s’est décidé à aller voir une hypnothérapeute pour résoudre ce blocage, qui n’était cependant pas lié qu’à lui mais aussi aux circonstances extérieures. Dans la saison qui a suivi, il a passé 300 kg, puis 305 kg, puis 310 kg.
« Je ne sais pas si c’est lié, mais cette saison là j’ai eu le déclic. La thérapeute m’a appris à m’enraciner dans le sol, à faire monter cette émotion juste quand il faut : ni avant, ni après.
A sortir de la bulle, puis revenir dans la bulle. Ça c’est quelque chose qu’on sait faire depuis longtemps dans les sports de combat, mais là j’ai mis des mots dessus, je l’ai systématisé, j’ai mis en place un protocole.
En fait ça ne sert à rien de s’agiter avant. Avant tu dois être cool, tu dois te détendre, faire des blagues. Et tu gardes à l’esprit que X temps avant ton passage tu devras rentrer de nouveau dans ta bulle. Certains font la gueule, certains rigolent, chacun a sa manière de faire.
Moi je sais que quand je monte sur le plateau, c’est ici et maintenant. J’ai mon image mentale que j’ai travaillée, je m’enracine dans le sol, mes pieds dans le sol avec les racines très profondes, la force de la terre, la force du ciel qui viennent en moi, qui font tourner la roue du tao au niveau du nombril, et voilà, j’y suis.
J’ai beaucoup d’images, sur mon téléphone notamment. Je garde toujours en tête des images positives de moi, en train de réussir. Je ne commence pas le soulevé de terre tant que je ne me vois pas en train de réussir. Je me remets dans la situation des championnats d’Europe où je tire le record du monde, où il passe.
L’image que j’avais lors de ces championnats, c’était un éclair qui me traverse, avec les pieds enracinés dans le sol. Il n’y a rien qui pouvait bouger, je ne pouvais que réussir la barre. Il n’y avait que moi et la barre que je tenais. C’est cette image que j’essaie de mettre en place à chaque compétition.
Je pense que dans tous les sports extrêmes, il y a toujours ce côté qui sort du commun, ce côté un peu spirituel… Tu es obligé, tu ne peux pas faire avec ce qui est commun. »
La plus grande qualité d’un(e) athlète
Si Imad a réussi à devenir champion du monde, ce n’est pas simplement parce qu’il a su être persévérant et mobiliser son énergie à bon escient, mais aussi parce qu’il possède ce qui constitue pour lui la plus grande qualité d’un ou d’une athlète :
« Pour moi, c’est réussir à adapter son mode de vie à son sport, c’est réussir à convaincre les autres autour de toi. Parce que toi tu es convaincu, tu es engagé dans ton activité, il faut que tu serres les dents quand c’est dur, mais c’est ton choix.
En revanche, pour ceux qui sont autour de toi, il faut que tu trouves le moyen d’aller dans leur sens sans renier ce qui est important pour toi. Et pour ça, tu es obligé de mettre en place des choses cohérentes dans l’emploi du temps. Si tu t’organises comme il faut, tu peux avoir une vie de famille, tu peux éduquer tes enfants.
Tous les bodybuilders te le diront, au bout d’un moment c’est soit leur famille, soit leur sport. Et ceux qui ont choisi leur sport, c’était des cons. Parce que 3 ans après il n’y avait plus personne et finalement, leur sport, ils l’ont arrêté.
Mais arrêter l’entraînement quand on a un gamin, ce n’est pas non plus une option. Moi j’ai adapté l’entraînement pour que je puisse continuer, et je m’entraîne dans mon garage. Mais bien sûr au départ ça ne s’est pas fait sans accroc vu l’exigence du sport et tout ce que je dois faire à côté… qui me coûte un temps monstrueux. Quand on regarde un film devant la télé, moi je suis en train de m’étirer. Quand on est en train de manger, moi je suis en train de peser les aliments… tu vois le truc ? Ça saoule tout le monde, mais c’est comme ça, et ça fait 26 ans que c’est comme ça, donc maintenant les gens me lâchent un peu [rires]. »
On oublie trop souvent que les champion(ne)s ne sont pas que le résultat de leur talent, mais aussi – ou surtout ! – d’un engagement et d’une constance sans faille vis-à-vis de leur « plan », c’est-à-dire du chemin qu’il leur faut parcourir au quotidien pour arriver au sommet.
Pour le pire…
Et il y a des moments dans une carrière de sportif où cet engagement est mis à rude épreuve. Imad en sait quelque chose puisqu’il y a quelques années, il a été stoppé net à cause de la rupture du tendon de son biceps, alors qu’il faisait un soulevé de terre.
Stoppé net pour un temps seulement, parce que le champion s’est non seulement relevé, mais a défié tous les pronostics en réalisant le plus gros total de sa carrière quelques mois plus tard.
« C’était une catastrophe. J’avais l’impression que c’était la fin du monde. Et tout le monde autour me disait « Ouais mais t’es vieux maintenant, tu as passé les 40 ans, il faut que tu te calmes. » Non, moi je savais que ce n’était pas ça, que ce n’était pas lié à l’âge. Ce jour-là, j’avais changé quelque chose dans ma routine de placement pour le soulevé de terre. Je me suis dit « je vais essayer de mieux sentir la barre avec les bras », et je sais qu’avant de démarrer, j’ai un peu fléchi le bras qui était en supination. Enfin je suppose que c’est ça.
Bien sûr, il faut aussi admettre quand tu n’es plus au niveau, si c’est le cas. Il faut aussi admettre que l’âge est là. Par exemple cette année, j’ai admis qu’il fallait que je lève le pied quant à ma fréquence d’entraînement du squat. Je suis meilleur avec plus de fréquence, mais le problème c’est que ça me fait mal.
Mais quand tu sens que ce n’est pas ça… Je ne vais pas l’admettre parce que les autres me disent de l’admettre ! Ça me rend dingue [rires] ! Et le pire c’est que ce sont des sédentaires qui te le disent. Jamais tu n’entendras un compétiteur te dire ça. »
… et pour le meilleur
Mais Imad a aussi de très beaux souvenirs :
« Mon meilleur souvenir, c’est mon record du monde de soulevé de terre en Finlande, parce que c’était inespéré. 310 kilos. Comme je t’ai dit, j’ai énormément travaillé sur ce soulevé de terre que je ratais depuis des années. D’abord j’ai passé les 300 kg, aux championnats d’Europe en Angleterre. Et la même année je remets ça avec 310 kg. Je n’y croyais pas ! »
Et puis les voyages, les rencontres, les amitiés tissées autour de sa passion… Autant de choses qui font la joie d’une carrière au long cours.
En guise de conclusion
Imad est le genre de rencontre qui me rappelle pourquoi je prends tellement de plaisir, et pourquoi cela fait tellement sens de réaliser des interviews pour mon blog.
L’athlète est un exemple d’humilité, de discrétion et de dévouement. Les pieds sur terre, loin des réseaux sociaux, des médias et des projecteurs, il a su faire toute la place nécessaire à sa passion sans pour autant oublier qu’il y avait d’autres choses tout aussi importantes dans la vie. Comme le disait son prof Marc Vouillot :
« Nous, en powerlifting, on prend le recul nécessaire, on est capable de rire de ce qu’on est en train de faire. Mais ce n’est pas facile de s’apercevoir que tout ça, en fait, c’est dérisoire. C’est-à-dire qu’il faut prendre ça au sérieux en s’amusant. On fait ça pour rigoler »[1]
Nous te souhaitons de rigoler la barre entre tes mains pendant longtemps encore, Imad, et nous te remercions infiniment pour le temps que tu as consacré à la réalisation de cette interview.
[1] Muscle Mag, avril 1993, p. 69
Pour aller plus loin…
Le site web d’Imad : Powerlifting 68
Le film d’Alberto Yaccelini sur – entre autres – Marc Vouillot et les débuts du powerlifting en France : « La Force »
Le livre de Marc Vouillot : « La force athlétique«