Si vous suivez de près ou de loin l’Ultimate Fighting Championship (UFC), vous avez certainement entendu parler de la plus grande usine à champions français d’Arts Martiaux Mixtes : le MMA Factory. Lorsque la salle a ouvert près de la Porte Dorée à Paris il y a quelques années, elle s’appelait le Crossfight. Le rez-de-chaussée était pourvu de racks, de barres d’haltéro, d’anneaux de gymnastique… On y pratiquait le Crossfit, et c’est d’ailleurs là que j’y avais découvert cette discipline. A l’étage, une cage de forme octogonale où les gants des combattants amateurs et professionnels se donnaient la réplique.
Aujourd’hui, la cage du premier étage est toujours là, mais le matériel de Crossfit du RDC a laissé place à un grand tatami pour permettre aux combattants, toujours plus nombreux, de pratiquer dans de meilleures conditions. Parmi eux, des athlètes de haut niveau dont vous avez sûrement entendu parlé : Francis Ngannou, Veronica Macedo, les frères Lapilus, Rizlen Zouak, pour n’en citer que quelques-un-e-s.
Derrière ces championnes et champions, il y a évidemment tout un staff qui œuvre. Il faut du monde pour que l’accompagnement soit le plus complet et efficient possible : stratégie, technique, récupération, préparation mentale et, évidemment, préparation physique. Cette dernière est prise en charge par le coach Nicolas Ott, que j’ai eu le plaisir d’interviewer il y a quelques semaines. Autant vous dire que Nicolas ne chôme pas, et c’est une chance qu’il ait réussi à trouver un créneau pour qu’on se rencontre dans une brasserie du 12e arrondissement, voisine du MMA Factory où il était attendu peu de temps après pour donner un cours. Mais quand on aime on ne compte pas, et Nicolas est du genre passionné. Il est même du genre à être tombé dedans quand il était petit.
Au commencement était… le sport
Son intérêt pour l’entraînement remonte à aussi loin qu’il s’en souvienne : « Quand j’étais gosse, je lisais les Karaté Bushido [magazine sur les sports de combat], surtout les petits articles sur la prépa physique. Ils avaient sorti un hors-série spécial prépa physique, avec Christophe Carrio, j’avais adoré. » Si bien qu’avec son cousin à qui il rendait visite durant l’été, il prenait déjà plaisir à construire et tester des programmes d’entrainement.
Un peu plus grand, il commence à pratiquer le Stronglift, une méthode de développement de la force composée d’exercices polyarticulaires, basée sur le schéma « 5 séries de 5 répétitions ». Côté études, le futur coach entame son cursus en STAPS, et termine son master à l’Université du Texas, une expérience universitaire qui marquera sa carrière à venir. Et pour cause : il a la chance d’avoir Jan Todd comme professeure, chercheuse accomplie du Département de Kinésiologie et d’Education à la Santé, et surtout powerlifteuse de renom. Todd est la première femme a avoir soulevé les célèbres « Dinnie Stones », une paire de grosses pierres pesant au total 332.49 kg, rendues célèbres par le strongman écossais Donald Dinnie. Elle détiendra le record de 1979 à 2018, jusqu’à ce que Leigh Holland-Keen réussisse l’exploit à son tour.
A ses côtés, Nicolas a la chance de pourvoir profiter de son immense bibliothèque, considérée comme la plus fournie du monde sur l’histoire de la culture physique. Dans le cadre de son master, elle lui confie la tâche de réaliser une étude sur Georg Hackenschmidt, monument de la lutte et du catch au début du XIXe siècle. Nicolas nommera son étude « Déjà vu », car beaucoup de choses qu’on utilise aujourd’hui étaient déjà préconisées à l’époque. « Par exemple, l’avènement du Crossfit, le fait de faire de la corde à sauter, de sauter sur des box, de faire de la course, de l’haltérophilie, etc., ce sont des choses que lui faisait déjà à l’époque. Il y a plein de choses comme ça qu’on faisait déjà à l’époque. Et c’est passionnant, car l’entraînement était déjà associé aux questions de santé, avec des conseils comme par exemple se coucher tôt, prendre une douche par jour, respirer de l’air frais… C’était super intéressant. Quand on ne connait pas l’histoire, on peut croire que tout est nouveau. Et effectivement il y a des choses où on a énormément progressé, mais il y a des vérités qui sont établies depuis longtemps, qui ne sont pas nouvelles ».
Un métier pour deux passions : la préparation physique au service des sports de combat
Rentré en France, muni de son master et de ses Brevets d’Etat en sports de contact et en lutte, il s’entraîne au grappling et commence à enseigner au NRFight, célèbre salle parisienne de sports de combat. En 2014, il rejoint le MMA Factory pour s’y entraîner. Un an plus tard, le headcoach Fernand Lopez repère son talent de combattant et lui propose de participer aux championnats du monde amateur de MMA, desquels il finira troisième. Une expérience qui sera un avantage indéniable lorsqu’il commencera à coacher les athlètes : il sait ce que c’est de monter dans une cage, de frapper et d’être frappé pour de vrai, de faire face aux émotions qui nous assaillent lors d’une compétition.
Aujourd’hui, Nicolas donne des cours d’Arts Martiaux Mixtes (MMA) au Factory, et c’est lui qui s’occupe de mettre en place les programmes de préparation physique et de nutrition pour les athlètes. Il a également rejoint le CREPS d’Ile de France où il est en charge de préparer les équipes de volley ball masculin et féminin, de hockey sur gazon et de karaté. Autant dire que son agenda est bien rempli, et son expérience de la préparation physique bien étoffée.
Son travail consiste à optimiser les qualités physiques d’une personne de manière à ce qu’elle atteigne ses objectifs, que ce soit de la vitesse, de la forme, de l’endurance : « Le corps s’adapte à un stress, et notre rôle en tant que préparateur physique, c’est de connaître quelle adaptation va être créée à la suite de quel stress… C’est de manipuler les différentes variables, d’infliger le bon stress pour créer la bonne adaptation, que ce soit pour atteindre un objectif sportif ou un objectif esthétique ».
Esthétique, parce que Nicolas ne s’occupe pas que des sportifs de haut niveau. Il propose également du personal training aux personnes qui souhaitent perdre du poids, prendre du muscle ou simplement se remettre en forme. Ses méthodes pour ses clients « amateurs » ? Les mêmes que pour ses athlètes. La différence, c’est que le travail sera évidemment plus spécifique avec un athlète, puisqu’on attend de lui une performance bien précise, alors que l’éventail des possibilités pour un objectif de « remise en forme » sera bien plus large.
Se préparer à haut niveau et fabriquer des champions
Et d’ailleurs comment s’y prend-on pour préparer physiquement un combattant de haut niveau ? Au MMA Factory, où 20 à 30 pros s’entraînent ensemble sur le tatami de façon hebdomadaire, on a réparti la semaine entre des jours hauts et des jours bas. Les lundis et les jeudis ce sont les jours hauts : « les jours intenses, les gros jours de sparring. Ce sont les jours où on va tout donner, se dépenser vraiment, ce sont des jours très difficiles. S’il y a un jour où on doit placer des activités où la stimulation du système nerveux central est importante, on va les placer sur ces jours-là. Tout ce qui est haute activité, gros recrutement moteur, ce sera ces jours-là. Force max, vitesse max, etc. » Et il y a les jours bas, où l’intensité est moindre : « ce sont des jours où on va travailler la technique, le timing, les déplacements, les mouvements accessoires en musculation, la proprioception, toutes ces choses-là. »
Le MMA fait partie de la catégorie des sports mixtes, où il faut être capable d’être puissant et endurant à la fois. Pour être physiquement efficient lors d’un combat dans la cage, il faut être capable de faire des va-et-vient entre mouvements explosifs et relâchement… pendant de longues minutes. Et pour savoir exactement ce que les athlètes ont besoin de travailler et de développer, l’approche est méthodique.
« La première chose c’est établir un modèle de performance. Tu dois savoir, dans ta discipline, qu’est-ce qui permet de performer. Comment on fait ? On compare les 100 meilleurs combattants mondiaux, avec les 100 meilleurs combattants nationaux, avec les 100 meilleurs combattants régionaux. On fait des tests physiques généraux sur les 3 niveaux, et ensuite on compare les résultats. Une des grosses erreurs que font les préparateurs physiques, c’est d’arriver avec leurs préconceptions. Ils arrivent en disant « ce qu’il faut pour performer dans cette discipline, c’est ça ». Si à très haut niveau, les mecs n’ont pas ça dans cette discipline, je suis désolé, mais c’est pas ça qu’il faut pour performer à très haut niveau. Ce qu’il faut, c’est ce que les mecs à très haut niveau ont. Surtout dans des disciplines qui sont déjà développées. Donc tu compares le très haut niveau avec le moyen niveau et avec le bas niveau, et tu vois ce qui les différencie. Et c’est ce qui les différencie qui sont les facteurs essentiels à la performance à très haut niveau. Ensuite, une fois que tu as identifié ces facteurs, tu as établi ce qu’on appelle un modèle de performance, tu as défini quelles sont les qualités physiques minimales pour atteindre le très haut niveau. Ton but c’est de faire en sorte que ton athlète ne soit pas limité par ces qualités physiques pour atteindre le très haut niveau. Donc tu le testes, tu définis les facteurs limitant. L’exemple que je donne toujours : si je suis en train de conduire et que je veux aller vite, et que j’ai le frein à main, mon premier facteur limitant c’est le frein à main. Et après peut-être que je ne vais pas pouvoir passer la vitesse : le deuxième facteur limitant c’est la vitesse. Etc. etc. Donc on va enlever les facteurs limitant, ce qui limite la performance, et on va travailler là-dessus au fur et à mesure, de façon à ce qu’il y ait de moins en moins de facteurs limitant la performance et qu’il soit de plus en plus fort dans les domaines où il est déjà fort. »
Et là encore, le coach se sert de son expérience chez les élites pour accompagner au mieux les personnes dont il s’occupe en personal training :
« J’ai une cliente qui veut perdre du poids : quel est son facteur limitant ? Est-ce que son facteur limitant, c’est qu’elle ne fait pas de sport, donc qu’elle a une dépense calorique qui est relativement faible ? Ou elle fait du sport, mais elle est très gourmande. Ok, on va identifier à quel moment précis. « Quand je vais au resto, je peux pas m’empêcher de prendre un dessert ». Ok, ce dessert, c’est notre facteur limitant. C’est à dire que si on arrive à enlever ce dessert, c’est ça qui va avoir le plus gros impact sur l’objectif, c’est-à-dire perdre du poids. C’est la même logique. Ca rend les choses très concrètes, très précises. »
« Basics first ». Respecter les règles de base pour construire un socle solide
L’expérience et les connaissances théoriques et pratiques de Nicolas lui permettent d’avoir une vision claire de ce qui marche et de ce qui ne marche pas. Une préparation physique de qualité commence obligatoirement par un travail fastidieux d’investigation, et le coach déplore l’approche parfois trop simpliste ou « paresseuse » que l’on peut observer dans le milieu. Il pense par exemple à la prophylaxie – la prévention des blessures – qu’on utilise aujourd’hui à outrance, et surtout de manière mal faite.
« On a été chercher dans le champ des kinés des exercices qui peuvent être utiles dans le champ des kinés, qui le sont beaucoup moins pour la performance et pour la prévention des blessures. Ce sont des outils qui ont cette connotation magique… L’exemple que je prends souvent, c’est l’exemple des élastiques pour la coiffe des rotateurs. On le voit partout. C’est facile pour moi de venir dans un cours et de dire « les gars, on va faire 15 répétitions d’élastique comme ça, 15 comme ça, etc., ok. » Magnifique, je suis un bon coach parce que j’ai mis en place des exercices prophylactiques. 1ère question : quel est le stress que je mets sur l’épaule d’un athlète de haut niveau quand je fais un exercice avec un élastique comme ça ? Quel est le stress et quelle est l’adaptation de son épaule ? Et 2e question : lorsqu’à chaque fois on met le même exercice, le même élastique et le même nombre de répétitions – quand bien même, imaginons qu’il s’est adapté au début – pendant combien de temps il va continuer à s’adapter sur cet exercice ? J’ai du mal à croire que le corps continue à s’adapter. Ma vision de la prophylaxie, c’est plutôt une vision systémique. Systémique, c’est-à-dire que quand le stress général subit par l’organisme est trop important, ça provoque une blessure. C’est la fameuse histoire qu’on entend tout le temps : « je me suis fait mal au cou, j’ai pas compris : j’ai juste tourné la tête, j’ai eu un torticolis. J’ai étendu une serviette, j’ai eu un lumbago… C’est classique. Un geste mal fait une seule fois dans de bonnes conditions, on ne se blesse pas. Un geste mal fait une fois dans de mauvaises conditions, c’est-à-dire quand le stress a été supérieur à la capacité de récupération, on se blesse. La raison pour laquelle on préfère mettre en place des exercices prophylactiques plutôt que de monitorer la charge de travail, et surtout la charge de travail ressentie, le stress ressenti par l’athlète, c’est qu’il y en a un qui est beaucoup plus facile que l’autre. Mettre en place un petit exercice, tout le monde peut le faire. Mettre en place un suivi de charge de travail qui est ressentie par l’athlète, c’est extrêmement compliqué. Parce que ce n’est pas uniquement la charge de travail que je te donne, c’est comment tu la ressens. Et comment s’y ajoute le stress créé par les embouteillages, la route, ta conjointe quand tu rentres à la maison, le petit qui ne dort pas, etc. Et ça c’est la réalité du monitoring et de la prévention des blessures. »
L’avènement des réseaux sociaux aidant, le monde du sport et du fitness est particulièrement sensible aux effets de mode et aux promesses de solutions « miracles » pour booster la performance et la santé. Pour Nicolas, l’arrivée de nouveaux produits ou de nouvelles techniques de récupération n’est pas un problème en soi, si les considérations les plus basiques sont respectées.
« Je ne suis pas contre, si on a fait ce qu’il fallait avant. La base de la base, c’est le sommeil. Ensuite, l’alimentation. Ensuite, la récupération active. On sait que le fait de bouger permet de récupérer plus rapidement. Et seulement après, on a les moyens de récupération passive, le massage, la cryothérapie, etc. Chaque technique a sa place, à partir du moment où on a compris l’importance de chacune de ces techniques dans la pyramide des besoins. Si je fais de la cryothérapie tous les jours mais que mon sommeil n’est pas bon, ça ne sert à rien. Mais le sommeil, dormir plus et dormir mieux, c’est le conseil gratuit que personne ne veut écouter. C’est dur, c’est une discipline, un travail de tous les jours de faire attention à ça et me coucher tôt. Alors que le supplément, je le prends et je peux me coucher tard… »
Pour la suite…
Et si le préparateur physique devait donner un conseil à un coach qui se lance dans le métier ?
« Aller là où il est passionné. Il faut comprendre ce qu’on aime. Il y a plein de casquettes différentes qu’on peut avoir en tant que coach. Donc se connaître soi-même pour savoir ce qu’on aime et foncer dans ce qu’on aime, devenir très très bon dans ce qu’on aime et ce qu’on fait. Et ensuite s’instruire continuellement : lire, aller à des conférences, des formations, etc. Plus on enrichit notre connaissance de la discipline, plus au final on aura la capacité de prendre du plaisir d’un point de vue professionnel. Je pense vraiment que le plaisir dans la profession est dépendant de l’enrichissement en termes de connaissance. »
Quant à ses projets à lui, il n’a pas prévu de lever le pied. Surtout que le MMA, dont les compétitions étaient interdites en France car jugées trop violentes, existera officiellement en tant que pratique sportive à partir du 1er janvier 2020. Ce qui signifie que les coachs du MMA Factory ont du pain sur la planche. Enfin, Nicolas a à cœur de transmettre son savoir et son expérience.
« On me sollicite beaucoup sur les formations, donc ça va arriver, en ligne, en présentiel. L’idée est de pouvoir transmettre un maximum, peut-être créer une sorte de réseau qui s’auto-enrichit. La préparation physique est encore récente en France, ce n’est pas forcément encore très relevé en termes de niveau. Je pense que c’est à nous, au jour le jour, de le relever en essayant de s’instruire, de transmettre, en essayant d’être exigeant. Pour qu’on devienne au fur et à mesure une profession de plus en plus respectée. Parce que justement, le travail qu’on fournira sera de plus en plus qualitatif. Donc ce sera un respect mérité par rapport à ce qu’on est capable de fournir. »
Aucun doute qu’avec l’entrain qui est le sien, le coach œuvre et œuvrera à cette valorisation du métier de préparateur physique. Merci Nicolas !
Son site internet : http://www.smartfight.fr/
Son profil Instagram : smartfight.fr
Sa page Facebook : Smartfight Coaching
Crédit photo : Nicolas Ott