Si vous avez déjà vu un(e) haltérophile soulever une barre de plus de 100 kilos, vous avez sûrement été tenu en haleine par ce moment de flottement où l’athlète réceptionne son énorme charge en position accroupie… Va-t-il réussir à se relever avec elle ?
Et vous avez sûrement été impressionné par sa mobilité… Comment fait-il donc pour tenir en position de squat si profond, avec autant de poids sur lui ? Et d’ailleurs, n’est-ce pas dangereux pour les genoux ou le dos de descendre si bas ?
Il fut une époque où l’on enseignait à ne surtout pas descendre sous le niveau des hanches et à ne surtout pas faire dépasser ses genoux au-delà des orteils lors d’un squat, sous peine de les abîmer. Ce temps est révolu, on sait aujourd’hui qu’un squat sous la parallèle ne comporte pas davantage de risques de blessure que sa version au-dessus de la parallèle… s’il est bien fait. D’ailleurs les prouesses de mobilité sous charge des haltérophiles nous le prouvent : les statistiques de la discipline présentent un taux de blessure minime.
A présent, oublions l’haltérophilie et la compétition un instant, et intéressons-nous au « squat santé », celui que vous utilisez peut-être en complément de la course à pied pour prévenir les blessures, ou pour développer votre force et votre puissance en Crossfit ou dans la discipline sportive qui est la vôtre.
Ce qu’il faut savoir en premier lieu, c’est qu’en sport de haut niveau, une sorte de « sélection naturelle » se fait. Si les haltérophiles descendent aussi bas, c’est aussi parce qu’ils ont l’anatomie requise pour le faire. Et ce n’est pas dit que vous, vous l’ayez.
Oui, la mobilité se travaille et se (re)gagne, mais parfois le manque d’amplitude vient de la structure osseuse en elle-même. L’articulation de la hanche n’est évidemment pas la même chez tout le monde, la forme des os change, et certaines configurations sont plus avantageuses que d’autres pour le squat profond. Celle de la « hanche celtique » par exemple, ne l’est pas (retrouvez un court extrait d’une conférence du docteur Stuart McGill à ce sujet ici – en anglais).
Ensuite, comme toujours quand on réfléchit à son entraînement, il faut vous demander de quoi vous avez besoin. Si vous pratiquez le squat pour développer votre force, la barre ne terminera pas au-dessus de votre tête comme dans le cas d’un arraché. Donc arriver le plus bas possible n’est pas une condition de réussite du mouvement.
Entendons-nous bien : l’amplitude d’un squat est un facteur extrêmement important pour les gains de force et de masse musculaire, et pour le transfert de ces gains dans votre discipline. Mais l’amplitude ne doit pas se faire au détriment d’une position sûre pour vos articulations. Parce que si mal réalisé, le squat profond peut entraîner des blessures. C’est ce que l’on verra en deuxième partie de cet article. Mais d’abord déconstruisons deux arguments communément admis qui ne sont pas valables pour promouvoir le squat profond.
Deux arguments à oublier
« Squatter comme un bébé » quand on est un adulte
Vous avez dû, comme moi, voir passer sur les réseaux sociaux des dizaines de photos de bébés en position de squat, avec des légendes du type « squattez comme un bébé ! », sensées nous rappeler que nous sommes tous capables de squatter à de telles amplitudes. Et bien c’est stupide, pour la bonne raison que notre squat est dépendant de la proportion de nos segments. En anatomie, un segment est la partie d’un organe ou d’un membre que l’on peut délimiter et individualiser. Le rapport entre la taille du fémur, la taille du tibia et celle du torse (les segments) détermine la forme que pourra prendre notre squat. Cela paraît logique, non ?
Ce que les avocats du « squatter comme un bébé » oublient, c’est que la proportion des segments d’un bébé n’a rien à voir avec celle des segments d’un adulte. Chez un bébé, les jambes sont plus petites en rapport au complexe torse-tête, alors que chez un adulte la taille des jambes est bien plus importante par rapport à ce même complexe. Ce qui change tout quant à la position de squat.
De plus, la position du centre de gravité influence grandement la mécanique du squat. Chez un bébé, il sera situé au niveau de la tête, donc plus haut que celui d’un adulte qui est situé vers le bassin.
Vous trouverez ici les explications détaillées du coach RTS Tom Purvis (en anglais) :
Et n’oubliez pas de regarder ses deux autres très bonnes vidéos sur la façon dont notre aptitude à nous « plier » en squat dépend de la proportion de nos segments (références en fin d’article).
« Squatter comme au bled » quand on porte une barre sur son dos
Un autre argument que l’on entend souvent en faveur du squat profond est celui du « squat du bled ». Vous savez peut-être que les habitants des pays en développement – notamment en Asie – ont l’habitude de se reposer ou de réaliser certaines tâches quotidiennes comme la cuisine en position accroupie, donc en squat profond. En utilisant quotidiennement cette position, ils entretiennent la mobilité de leurs hanches, genoux et chevilles. Et nous prouvent que nous devrions tous être capables de nous maintenir dans cette position, quelque soit notre âge.
Il est vrai que nos habitudes de vie occidentales sont dommageables pour ce qui est de notre mobilité et de notre posture de façon générale. La position de squat comme position de repos est certainement une position que nous devrions tous être capables de réaliser, mais qui est compliquée pour beaucoup. En cause, les années passées derrière un bureau ou sur un canapé qui enraidissent nos articulations. « Use it or lose it ».
Néanmoins – et outre les considérations anatomiques liées à l’origine mentionnées en début d’article – il ne faut pas oublier que le squat de repos est un squat passif. Comme le rappelle le coach Joel Seedman, c’est un squat où l’on repose quasi exclusivement sur les articulations et leurs tissus conjonctifs et où il n’y a pratiquement aucune activation musculaire.
Essayez de réaliser un squat de la sorte avec une barre de 100 kg sur le dos… A l’inverse, un squat à visée athlétique est un squat actif, où la co-contraction des chaînes musculaires antérieure et postérieure est nécessaire. Si le « squat du bled » nous apprend beaucoup sur notre mobilité potentielle, il n’est pas comparable avec un squat athlétique où l’activation musculaire est primordiale.
Deux mauvaises habitudes à éviter
Je l’ai dit en introduction, l’amplitude d’un squat est un facteur déterminant pour le développement de la force et de la masse musculaire. Néanmoins, la recherche de cette amplitude ne devrait ni vous faire perdre l’activation de vos muscles des membres inférieurs, ni la position neutre de votre colonne lombaire. Voici pourquoi.
Le rebond du squat « ass-to-grass » limite votre performance et augmente vos risques de blessure
Les personnes qui réalisent des squats « ass-to-grass » (ATG – « cul jusqu’à l’herbe » 🙂 ) utilisent bien souvent ce qu’elles pensent être un réflexe myotatique en arrivant en bas : un rebond dont l’élan les aide à remonter plus facilement.
Le réflexe myotatique, c’est quand un muscle qui est étiré se contracte par réflexe (sans passer par la conscience), et que son antagoniste se relâche, permettant à cette contraction concentrique rapide d’avoir lieu. C’est ce qu’il se passe quand votre médecin vous frappe avec un marteau sur le tendon rotulien situé au bas de votre genou. Le coup porté sur le tendon provoque un étirement mécanique du quadriceps, dont l’information est transmise à la moelle épinière. S’ensuit la contraction réflexe du quadriceps et le relâchement des antagonistes, les ischio-jambiers. Si ce réflexe existe, c’est pour protéger l’articulation et le muscle lorsqu’il est étiré.
Le rebond du squat ATG n’est pas un réflexe myotatique : c’est simplement un rebond. Il a lieu parce que la co-contraction pourtant primordiale des chaines musculaires antérieure et postérieure est relâchée en bas de squat. La charge vient alors terminer sa course sur les tendons et les ligaments qui agissent comme un ressort. Un piètre ressort qui va finir par s’user à la longue.
Les risques : en premier lieu, en utilisant l’énergie élastique du rebond vous n’employez pas la force que vous pourriez produire en utilisant la seule contraction concentrique pour remonter. Les gains de force sont donc moindres, et vous arriverez bientôt à un plateau qu’il vous sera difficile de dépasser sans changer votre technique de squat. En second lieu, la probabilité d’usure et de blessure est élevée sur le long terme, puisque vos muscles ne sont pas assez activés pour protéger vos articulations de la charge qui pèse sur elles.
Pour progresser de façon plus efficiente mais surtout pour éviter de vous blesser, n’utilisez pas ce rebond quand vous arrivez en bas de squat. Maintenez une activité musculaire forte pendant toute la séquence du mouvement, quitte à descendre moins bas si c’est nécessaire.
Le « butt wink » est dangereux pour votre dos
En anglais, on appelle « butt wink » (« clignement des fesses ») ce mouvement de rétroversion du bassin qui se produit chez certaines personnes en position basse de squat. C’est le cas chez vous si vous remarquez que, lorsque vous arrivez à la fin de la descente, votre bassin s’enroule vers l’arrière et le bas de votre dos s’arrondit. Aouch : vous n’avez pas envie que cela se produise.
Pourquoi ? Déjà parce qu’avoir une charge qui pèse sur des vertèbres en position de flexion, ce n’est pas terrible pour vos disques intervertébraux. Ensuite parce que si vous êtes en position de butt wink, pour remonter vous n’aurez pas d’autre choix que d’effectuer une extension lombaire, c’est à dire que vous allez devoir redresser votre bas du dos avant de pouvoir pousser dans vos jambes. Vous aurez en effet besoin d’être dans une position spinale neutre pour pouvoir engager pleinement vos fessiers qui procèderont, avec vos ischio-jambiers, à l’extension de hanche. Et une extension lombaire avec 80 ou 100 kilos sur la colonne, ce n’est vraiment pas terrible non plus pour vos disques intervertébraux. Le risque d’hernie est élevé.
Donc, mon conseil est le suivant : lorsque vous descendez en position basse de squat, restez dans votre amplitude active du point de vue de la colonne, c’est-à-dire une amplitude qui permettra à vos vertèbres lombaires de conserver leur position neutre. Arrêtez-vous avant que votre bassin ne bascule vers l’arrière et ne descendez pas plus bas.
En guise de conclusion : l’amplitude oui, la passivité non
En quelques années, les standards ont été inversés et la profondeur du squat est devenue un critère de réussite du mouvement. On ne peut que s’en réjouir, puisque la recherche scientifique nous apprend que le squat profond est bénéfique au développement de la force et ne comporte pas de risques particuliers pour les articulations.
Mais les standards sont des normes, et les normes n’ont par définition que faire de qui vous êtes, vous. Pourtant, la chose la plus importante à prendre en compte, c’est votre individualité. Vous avez une morphologie qui vous est propre, de même qu’une mobilité et des capacités motrices qui n’appartiennent qu’à vous.
Si vous souhaitez tirer le maximum de votre entraînement en termes de performance et de longévité, il vous faut apprendre à vous approprier ces normes et à les remodeler en fonction de vos caractéristiques. Sinon, elles deviennent destructrices.
Sources
Vidéos de Tom Purvis : « Fold ability and proportions » Partie 1 – Partie 2
Gaglione John, 2014. « The Truth About Squatting Deep », T Nation (en ligne)
Holdsworth JL et Geoff Girvitz, 2018. « Forget About Squat Depth. How Low You Squat is Irrelevant » T Nation (en ligne)
Seedman Joel, 2018. « Tip: Death to Super Deep Squats Parallel is better for strength, power, and pain-free gains. Here’s why », T nation (en ligne)
Seedman Joel, 2015. « The Real Science of Squat Depth. Ass-to-Grass vs. Parallel Squats », T Nation (en ligne)